Emmanuelle Huynh Photo

Photo : Pauline Beau Djilas

À travers L’eau à la bouche dont elle a signé le scénario et la réalisation, Emmanuelle Huynh s’intéresse à un employé de piscine municipale face à ses pulsions pédophiles. 
Quel est ton parcours ?

J’ai fait option cinéma au lycée, puis j’ai enchaîné avec une licence d’Arts Cinéma à Marne-la-Vallée mais j’ai vite compris que si je voulais faire du cinéma, il fallait que j’intègre une école. Je suis venue en Belgique pour la qualité de l’enseignement et aussi pour une question d’accessibilité. J’ai commencé par une formation de montage à lIAD (Institut des Arts de Diffusion à Louvain-la-neuve) mais je me suis rendue compte au moment de chercher du travail que ce n’était pas vraiment l’aspect technique que j’aimais. J’ai toujours voulu réaliser et j’ai donc enchaîné avec un Master en scénario dans la même école, pour apprendre à écrire des histoires. L’eau à la bouche est mon premier projet. Ça n’a pas été facile mais j’ai eu la chance de trouver un producteur qui a compris la nécessité de ce film et qu’il l’a produit avec ses fonds propres.

Qu’est ce qui t’a donné envie de réaliser ? 

J’ai toujours aimé analyser et décortiquer la nature humaine, ça me permet de mieux comprendre notre société et notre fonctionnement. Comprendre ce n’est pas forcément accepter, mais ça permet de soulager la douleur parfois… En plus je passe pas mal de temps dans ma tête donc autant que ça serve à quelque chose. Et j’avais aussi envie d’écrire des histoires qu’on voit peu, j’aime bien montrer ce qu’on tend à gommer ou à taire…

Je crois qu’on a tendance rendre les personnages héroïques au cinéma et j’ai envie de faire le contraire, je veux montrer la médiocrité de l’être humain.

Mon travail pour l’instant part toujours d’un cri de révolte, d’une colère, ou d’un sentiment d’injustice. Ce sont des éléments moteurs pour moi. 

Qu’est-ce qui t’a influencée ?

Je m’inspire de tout ce qui peut créer des sensations fortes dans mon quotidien, ça peut aussi bien passer par une musique, une image ou un livre. J’ai la chance de voir aussi pas mal de spectacles vivants. En tant que spectatrice j’aime être dérangée, qu’on me pousse dans un inconfort et j’aime les œuvres sombres et sensorielles.

Dans les derniers spectacles qui m’ont vraiment marqués, il y a “L’Etang” de Gisèle Vienne, ça m’a énormément dérangée, j’ai trouvé cette pièce d’une grande justesse avec une intelligence remarquable au niveau de la mise en scène. 

J’ai aussi beaucoup aimé Triptych: The missing door, The lost room and The hidden floor de la compagnie Peeping Tom. Tout au long de leur pièce, ils arrivent à contrôler l’angoisse de leurs spectateurs de manière bluffante. Je suis admirative de ça.

L'eau à la bouche d'Emmanuelle Huynh

Photo Laure Winants

En ce qui concerne L’eau à la bouche, j’ai lu pas mal de témoignages et d’articles d’experts, j’ai écouté des podcasts, échangés aussi avec des psys. Quand on traite d’un sujet aussi sensible, on ne le fait pas à la légère, on doit se renseigner énormément. Je me suis aussi intéressée à la représentation du pédophile au cinéma. J’ai tenté de déconstruire cette image pour atteindre une certaine justesse. Je ne voulais pas tomber dans un discours qui rendrait le pédophile inoffensif ou psychopathe… C’est vrai que ça n’a pas été facile de traiter d’un sujet aussi complexe et tabou en format court, surtout sans financement. Il a fallu être efficace, radical et sensoriel pour faire passer mon message. 

Qu’est-ce qui t’intéresse dans la forme du court-métrage ?

Ce qui est intéressant avec le court métrage c’est qu’il faut être efficace, si quelque chose ne fonctionne pas, on le voit tout de suite. C’est un format qui ne supporte pas les faiblesses scénaristiques contrairement au long-métrage où on peut se permettre de s’attarder un peu et de prendre d’autres chemins. Et c’est aussi un médium qui permet aux réalisateur·rice·s de se tester et de plus oser.

Est-ce que tu regardes des courts-métrages ?

J’en regarde pas mal oui, j’aime bien savoir ce qui se fait. Chaque année j’essaie d’aller au “Brussels short film festival” et à “Court mais trash”. J’en vois aussi surtout en ligne grâce à Arte. C’est d’ailleurs de cette manière que j’ai découvert Pierre Nisse (mon acteur principal) dans D’un château l’autre d’Emmanuel Marre.

Ton regard sur les productions françaises ?

C’est difficile d’en parler puisque je regarde cela depuis la Belgique. Mais en règle générale je trouve que le cinéma européen donne toujours la parole aux mêmes personnes, à la même classe sociale. Je trouve qu’il y a très peu de diversité dans le milieu du cinéma et j’ai l’impression qu’on raconte toujours les mêmes histoires d’un point de vue assez similaire. Mais ce qui m’embête le plus là-dedans je pense, c’est la réappropriation des récits et la fascination pour les milieux populaires. Il y a un côté condescendant dans la manière de peindre les banlieues, ça alimente vachement les stéréotypes. C’est quelque chose qui me tient à coeur parce que j’ai grandi dans un quartier HLM. Heureusement qu’il y a des gens comme Ladj Ly qui parle de ça et qui donne le relais à une nouvelle génération grâce à son école Kourtrajmé.

Quel est ton dernier coup de ♥  en terme de court-métrage ?
Comme je regarde pas mal de courts métrages, j’en ai eu plusieurs en fait. Je citerais d’abord The strange thing about the Johnsons d’Ari Aster (2011), pour le côté dérangeant, mais aussi pour la maîtrise scénaristique et celle de la mise en scène. 
Niveau court métrage français, je dirais Narvalos de Bilel Chikri (2020), pour la représentation de la banlieue qui va à l’encontre des stéréotypes, ça fait vraiment plaisir à voir. Venant d’un milieu populaire ça m’insupporte de voir des films qui reprennent les codes de la banlieue juste parce que c’est à la mode. 

 

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Catégories : EntretienKontrechamp

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