Après avoir d’abord contourné son envie d’aller vers le cinéma, Joséfa a trouvé sa voix cinématographique et rencontré ses futures associées à la Screen Academy Scotland. Elle vit désormais à Glasgow où elle entend bien participer au renouveau de la production écossaise, en proposant un cinéma de genre de femme.

Quel est ton parcours ?

J’ai commencé avec une licence de cinéma que j’ai finalement très vite interrompue : cela me destinait vers l’enseignement ce qui n’était pas mon but. On entend souvent que pour se faire une place dans le cinéma, il faut être « fils/fille de » ou alors issu d’un milieu aisé, du coup j’ai entrepris des études de communication à la place, avec l’optique d’avoir de vrais débouchés une fois diplômée. J’ai fait 2 années avant de me rendre compte que c’était un univers qui ne m’attirait pas. J’ai donc terminé mon parcours par une licence pro Techniques et Activités de l’Image et du Son. Mais après avoir travaillé en tant que vidéaste freelance pendant 1-2 ans, je sentais qu’il me « manquait » toujours quelque chose. Au final, l’appel du cinéma était toujours présent et je me suis laissée tenter par un Master Film – très axé sur la pratique – à Édimbourg en Écosse. J’y suis restée et je suis maintenant directrice de création d’une petite boîte de production, Shakehaus, co-fondée avec des acolytes de la Screen Academy Scotland, et située à Glasgow. On développe des projets films, TV, en plus de réaliser des films publicitaires et corporate.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire des films en Écosse ?

Initialement c’était l’envie de tenter l’expérience de vivre hors de France, de découvrir de nouvelles perspectives et un quotidien différent. Je pensais tout d’abord me diriger vers Londres, comme beaucoup de gens, mais c’est l’argument financier qui m’a confortée dans mon choix pour l’Écosse. Mes parents m’ont toujours soutenue et ont fait de nombreux sacrifices pour me permettre de poursuivre ma voie, mais à 27 ans, je n’avais pas envie de les inquiéter davantage avec un parcours scolaire supplémentaire, hors de prix, en plus du prix d’un logement londonien. J’avais déjà des obligations financières importantes liées à mon passage en école de com.

En tant que ressortissante de l’UE, faire une année d’étude en Écosse était vraiment peu onéreux, c’était donc une bonne aubaine. Au final c’est lors de mon année d’étude à la Screen Academy Scotland, que j’ai vraiment eu l’occasion de confirmer mes envies et attentes professionnelles et de découvrir un attrait particulier pour le film de genre – plutôt soft – et les histoires de passage à l’âge adulte.

L’industrie cinématographique est en cours de développement en Écosse. De nombreuses grosses productions, principalement américaines, y ont été tournées récemment ; mais en ce qui concerne les productions locales, on est bien loin du même niveau. Les financements sont quasi inexistants.

 L’Écosse est un pays généreux, ouvert vers l’Europe et surtout un pays de légendes. Cette nation possède un vivier d’histoires originales peu exploitées. Il y a du potentiel pour son industrie cinématographique encore émergente de se démarquer de ses voisins anglais et de son réalisme-social un peu trop envahissant, selon moi, et peu distribué à l’international et de facto moins « commercial ». Et ce genre de films, au Royaume-Uni, ne fait que perdurer une tradition d’industrie non viable qui au final surexploite continuellement ses équipes de tournages « pour l’amour du cinéma ».Et je ne trouve pas ça normal.

C’est l’une des rares industries où souvent on travaille sans être rémunéré, et il faut que les choses changent.

Notre équipe est majoritairement féminine et axée vers la production cinématographique de genre. Nous avons l’ambition de participer au changement du paysage cinématographique écossais.

Qu’est-ce qui t’intéresse dans la forme du court-métrage ?

Le court est le support idéal pour un cinéaste de se faire les dents et d’expérimenter des approches narratives et esthétiques différentes. Le court permet à un « jeune » cinéaste de souvent se planter et d’apprendre de ces erreurs et obstacles sans grandes conséquences, pour ensuite mieux se relever et aiguiser son art.

Au-delà de la rigueur structurelle que la pratique du court peut vraiment aider à développer, sa richesse est d’être moins bavard que le long et cela force vraiment de penser son histoire « cinématographiquement », donc visuellement.
Cependan,t je pense que tous les cinéastes ne peuvent pas être d’excellent auteurs de court-métrage car être bref est un art à part entière. Donc ce qui m’intéresse dans le court-métrage, ce n’est pas forcément de voir un excellent film, mais d’entrevoir l’émergence d’une voix.

Au Royaume-Uni, les opportunités de financements de court-métrages sont bien moindres et bien moins généreuses qu’en France. Donc on se retrouve souvent extrêmement limités et les films les plus originaux, ambitieux, et très souvent primés sortent principalement de la National Film & Television School, une école avec de grands moyens que le reste du pays n’est pas en mesure de rivaliser. Du coup, les films plus « régionaux », voyagent beaucoup moins bien à l’étranger et c’est bien dommage.

Est-ce que tu regardes des courts-métrages ?

Principalement lorsque je me rends en festival. Pendant longtemps je me rendais régulièrement sur des sites comme Short of the Week, mais j’ai arrêté il y a deux-trois ans, lors de l’écriture de « Tomorrow Might be The Day », car au contraire de les trouver inspirants, ils avaient plus tôt tendance à me complexer. Je ne pensais pas être capable de produire un court-métrage d’aussi bonne facture et aussi intéressant que certains qu’il m’avait été donné de voir sur cette plateforme. Mais une fois de temps en temps, je m’autorise à y retourner.

Il n’y a pas vraiment de plateforme pour le court au Royaume-Uni, à part les festivals. Donc le court-métrage c’est vraiment très « niche » et principalement consommé par les membres de l’industrie. Je trouve super qu’en France on puisse voir du court-métrage à la télévision et qu’il y ait des organismes comme l’Agence du Court-Métrage ; lorsque je raconte à mes connaissances en Écosse que mon premier court-métrage « Event Horizon » passait souvent avant un long métrage dans de nombreux cinémas français, ils trouvent cela vraiment étrange. Cela étant dit, la chaine de télé BBC Scotland a récemment commencé à diffuser quelques courts-métrages écossais, donc il y a de l’espoir pour qu’ils s’ouvrent à une sélection plus large, plus variée dans leur genre et avec une diffusion plus régulière.

Qu’est-ce qui t’a influencée ?

Je suis toujours impressionnée lorsque les gens savent précisément ce qui les inspire. C’est difficile à dire.

J’ai grandi entourée de BD et je pense que cela a eu un impact sur ma façon très visuelle de conceptualiser le monde et mes histoires.

Je le dis souvent, je n’ai pas une culture exceptionnelle du cinéma. J’ai souvent ce complexe de ne pas être assez cinéphile. Je regarde des films, mais pas assez et pas de tout. Mais je ne pense pas que cela soit un frein à ma carrière. Stand By Me, The Breakfast Club, Les Valeurs de la Famille Addams, Donnie Darko, Another Earth…Il est certain que le cinéma américain des années 80-90, particulièrement à destination du jeune public, exerce une forte influence sur mon style. Et j’ai envie de rendre hommage à certains de ces films, mais avec une touche de SF ou de fantastique, et en mettant en avant des personnages féminins.

Mes années d’ado ont principalement étés marquées par la subtilité des thèmes, les personnages féminins « badass » et les dialogues pêchus dans Buffy (bien que je ne m’en rendais pas forcément compte à l’époque). Buffy était mon échappatoire durant cette période difficile. Après le lycée, le cinéma asiatique d’horreur m’a vraiment passionnée et inspirée dans son approche souvent plus psychologique et métaphorique que gore.

Je suis assez ouverte à la narration « multi-plateforme » et je puise très souvent mes influences dans de nombreux autres médias : la photographie (Gregory Crewdson), le jeu vidéo (Life is Strange), l’art digital (Simon Stålenhag)…

L’ambiance qui se dégage des œuvres de Crewdson et Stålenhag est fascinante. Un mélange de réel, de froideur et d’étrange. Et pourtant leurs univers me paraissent bien plus réels que d’autres œuvres clairement réalistes. Bref, je pense que tout cela a une influence sur le type de films que je veux réaliser aujourd’hui.

Quel est ton regard sur le cinéma français actuel ?

L’une des raisons pour lesquelles je n’ai pas tenté une carrière en France était que l’accès à l’industrie me semblait trop élitiste. Et je ne voyais pas trop l’intérêt de tenter d’y percer alors qu’elle proposait des films qui ne m’intéressaient pas. J’ai quitté la France avec l’état d’esprit suivant : « Le cinéma français ce n’est pas pour moi ». Je le trouve soit trop bobo, soit trop gras. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de perle du cinéma français, mais elles sont trop rares par rapport à la masse de films populaires qui, artistiquement ou narrativement, ne m’intéressent pas. En 5 ans, j’ai dû voir moins de 10 films français. Il faut dire qu’ils passent rarement au cinéma en Écosse, à part durant le French Film Festival UK.

Lorsque je me retrouve à lire les nouveautés sur le cinéma français de temps à autre, j’ai l’impression que foncièrement les choses n’ont pas vraiment changé. Mais je me trompe peut-être et je passe certainement à côté de pépites ; il faut que je me refasse une culture du cinéma français « en marge » de ces cinq dernières années.

Ce qui me plaît par contre, c’est de voir que lorsque mon entourage en Écosse partage un avis sur un film français, il s’agit rarement de l’un ces films qui m’a fait fuir l’industrie française. Ce qui me donne de l’espoir que les choses changent petit à petit.

Ton dernier coup de ♥ ? 

Please to Eat You d’Adrian Hedgecock. Trois hommes se retrouvent à la dérive en pleine mer. Lorsque l’un d’entre eux meurt, les deux autres ont le choix de le manger ou de chanter.

Une comédie musicale britannique complètement décalée que j’ai eu la chance de découvrir en 2015 lors du festival Paris Courts Devant. L’équipe était alors à la recherche de financement pour finir les effets spéciaux. Il leur a fallu 4 ans pour le terminer (2019), mais le jeu en valait la chandelle.


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Catégories : EntretienKontrechamp

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