Matthias Eyer photoDès l’adolescence, Matthias Eyer a découvert la possibilité de créer son monde à soi à travers le cinéma.  ll a côtoyé d’autres univers, comme la théâtre ou la musique. Il soulève ici la question de la représentativité du cinéma français et de la manière dont il ne restitue pas encore suffisamment le monde tel qu’il est. 
Quel est ton parcours ? 

Après le lycée Renoir d’Angers et son option cinéma, j’ai fait un BTS Audiovisuel Métiers de l’Image à Montaigu puis l’ENS Louis-Lumière, d’où je suis sorti en 2016.

Qu’est ce qui t’a donné envie de réaliser des films ? 

Bonne question. Sans doute le besoin d’un ailleurs, d’un monde à soi, un besoin d’évasion. C’est ce qu’offre le cinéma, qui permet de créer un univers propre où tout est permis. Et vu l’état du monde actuel, on aimerait bien pouvoir en créer un autre. En vrai ça remonte à très loin, quand j’étais enfant. J’aimais bien les films qui m’emmenaient vers des univers autres, cela me permettait d’échapper au mien, pas toujours très rose. J’ai su que je voulais faire du cinéma dès le collège. À ce moment j’empruntais déjà l’appareil photo parental pour faire des mini-films, dans ma chambre ou dans mon jardin. Tout ça m’a motivé à poursuivre ma scolarité au lycée Renoir d’Angers qui propose une option Cinéma-Audiovisuel. J’ai mis le pied dedans, je n’en suis pas ressorti.

Qu’est-ce qui t’a influencé ?

Ce qui m’influence est très large, ça va de ma mère qui fait des décors de théâtre en carton à Martin Scorsese, en passant par toute image vue par mon œil : tableau, photo, souvenir, bande dessinée, internet, télévision, actualités …

Tout ça crée une « mnémothèque de l’image » qui se retrouve distillée dans les films que je fais. J’aime bien dire que j’ai mille influences car on se nourrit constamment de ce qu’on voit, de ce qu’on entend. Et cela reflète une certaine diversité et ouverture d’esprit. Je n’aime pas être catégorisé alors je préfère ouvrir au maximum mon influentoscope.

Qu’est-ce qui t’intéresse dans la forme du court-métrage ?

C’est une forme assez simple, assez directe. Les codes peuvent y être plus marqués, on peut plus facilement créer un monde à part. Et il y a une grammaire assez chouette dans le court-métrage, ainsi qu’une une certaine liberté, c’est un terrain d’expérimentation.

Est-ce que tu regardes des courts-métrages ? 

Oui, je regarde des courts-métrages, en festival et en ligne, parfois à la télévision. La fréquence est très variable, mais je donnerais une moyenne de 2,46 courts-métrages par semaine.

Quel regard portes-tu sur la production française ? 

Nous sommes le pays où ça va le mieux ET le plus mal. D’un côté il existe beaucoup d’aides publiques pour faire un film, mais ces aides sont parfois gangrénées par l’entre-soi et le favoritisme. Pour le court-métrage plus personne n’en regarde, alors que c’est un super vecteur de sociabilité et un format adapté aux écoles, EPHAD, centres sociaux … Presque aucune salle (hors COVID) n’en diffuse alors qu’il y a un vrai public. Je suis sûr qu’un cinéma qui projetterait un petit court-métrage avant ses longs ou même des programmes de courts-métrages pourrait trouver un public, car très peu d’exploitants proposent cette offre.

D’un autre côté la production française a peur. Si tu n’as pas une région, le CNC, trois Sofica et une distribution du tonnerre, peu de gens sont prêts à diffuser ton film. Outre-Atlantique il existe des gens assez fous pour mettre un paquet d’argent sur la table, et retrouver le double plus tard. Mais en France, on manque de fous. Je dis souvent que je déteste autant que j’admire Luc Besson, mais au moins lui ose et n’a pas peur de prendre des risques.

Lorsqu’on parle de diversité, on s’imagine tout de suite des femmes, des personnes à la peau foncée, des non-hétérosexuels. Mais on oublie l’ostracisme que le système crée, en ne donnant pas de place aux personnes trop vieilles, trop handicapées ou trop campagnardes.

Il y a peu de temps Arte organisait un concours de films documentaires exclusivement réservé à des femmes, ou encore on encourage les productions mettant en avant les populations « racisées de cité« . Mais cela n’est-il pas contre-productif, en créant un cloisonnement ou une frustration inverse propice à la violence. 

Qu’on se le dise, la diversité est très faiblarde et, quand bien même on accepte un.e metteur-en-scène issu.e de l’immigration, on lui demande de faire un film sur des populations racisées de banlieue.

J’ai deux superbes idées que j’aimerais diffuser :

1) une réelle anonymisation des dossiers pour les demandes d’aides publiques afin que Madame Inconnue et Petite Production aient autant de chances que Monsieur Connu et grosse Production.

2) comme dans les tribunaux, inclure une part de « jury populaire » : faire cohabiter plébéiens et professionnels dans les collèges de lecture et d’attribution des aides publiques, afin de casser un certain entre-soi (ça m’avait bien fait mal quand Mounia Meddour avait obtenu l’aide à la réécriture du CNC alors qu’elle faisait elle-même partie du jury).

Et à l’international ? Arrête ton char, les films français ne font plus rêver. Et il y a toujours des genres dont la France a peur. Un vrai blockbuster français, c’est rare ou inexistant. J’ai un ami qui a arrêté de chercher des productions pour ses films, il fait tout lui-même. Et ses films cartonnent à l’international là où des productions françaises plus classiques échouent. Peut-être cette censure qu’on s’auto-impose y est-elle pour quelque chose ?

Quel est ton dernier coup de  en terme de court-métrage ?

Dernièrement j’ai bien aimé Bats ta coulpe, un film de Cyril Battarel.
On est tous deux sortis de Louis-Lumière, Cyril faisait partie de la promo juste après moi. Je trouve son film très réussi. Je n’ai pas tout compris, et c’est aussi le charme du film. Il y a un travail graphique super intéressant, le son y occupe une place importante, les acteurs sont bons, il y a un réel univers qui est créé, un peu de Lynch, du surréalisme et de jolies cravates.
Il s’agit de son film de fin d’études, pour lequel je pense que l’école n’a pas su apporter la diffusion méritée. À l’inverse de la Fémis, il n’y a pas de réelle diffusion des films à Louis-Lumière, où les films sont trop souvent considérés comme des exercices pédagogiques et non comme des œuvres à part entière.
Du coup allez voir ce film, c’est un peu barré, il y a de jolis décors et c’est gratuit.
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Catégories : Kontrechamp

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