Zoé Arene Portrait photoInstallée en Belgique où elle a fait ses études, Zoé Arene a réalisé le court métrage En fin de conte. À travers ce mockumentary, elle interroge la foi tout autant que la marginalité dans un contexte de désenchantement social.

Quel est ton parcours ?

J’ai fait une formation en France : trois ans de fac à Paris VIII en section cinéma et je suis tombée en plein mouvement contre la loi Pécresse, avec blocage total du système universitaire, beaucoup de manifestations, et il y avait très peu cours. Par la suite, j’ai voulu faire une grande école, mais je n’avais aucune envie de me former à Paris, ni d’y vivre.

J’avais pas mal entendu parler de l’INSAS à Bruxelles et je commençais à me confronter au cinéma belge et c’était vachement plus séduisant d’aller là-bas. À ce moment-là, j’étais très attirée par le cinéma du réel, le documentaire. Et l’INSAS est très réputée pour ça, donc j’ai fait une formation de cinq ans.

Au cours de la formation, j’ai paradoxalement commencé à dessiner un cinéma plus fictionnel, plus distancié au réel, au point que mon film de fin d’études était un film de science-fiction, avec un humanoïde enfermé dans un cube au fin fond de l’univers.

Qu’est ce qui t’a donné envie de réaliser ? 

En fait, je me suis rendue compte pendant ces années de formation à l’INSAS que ce n’était pas le cinéma du réel, le « cinéma direct » dont j’étais le plus cliente. J’ai toujours été plutôt attirée par ce qui était plus distancié, absurde, fantastique. Il y a eu un glissement du genre dans lequel je voulais inscrire mon cinéma, mais aussi un changement dans ma « posture » d’artiste. Sans doute lié à la jeunesse, j’ai d’abord voulu faire des films pour dénoncer, pour « sauver le monde ». Et puis je suis « redescendue » et j’ai compris que mon désir de cinéma était en premier lieu personnel : une condition de survie à la brutalité, l’absurdité et la cruauté du réel.

Pour moi, c’est un échappatoire extrêmement privilégié, voire égocentrique, que d’avoir la possibilité de faire des films : la possibilité de donner naissance à un monde, un univers, des personnages, bref un « réel-fiction », à mes yeux plus « vivable » que le « réel-réel ».

Dans un second temps je souhaite bien sûr donner en partage ce réel-fiction, qu’il ouvre des questionnements, des réflexions sur notre société, la condition humaine, notre rapport à l’autre et au monde, mais si je suis tout à fait honnête, ça n’est aujourd’hui plus le moteur premier qui me pousse à faire des films, mais plutôt l’idée d’un refuge dans l’imaginaire qui rend la réalité supportable.

En fin de conte a été tourné entre deux confinements, en novembre-décembre 2020. C’était le cafard total, tout le monde était enZoé Arene tournage photo dépression. Et j’avais le sentiment troublant que le réel était plus absurde, plus fictif que mon histoire.  Je trouvais plus de sens, intellectuellement et émotionnellement, à ce que je racontais dans mon court métrage qu’à l’actualité du réel.

Et c’est vraiment là que j’ai compris que l’imaginaire c’était vital pour moi et que faire des films – faire ce film, en particulier puisqu’il aborde le danger de notre désenchantement –  c’était une manière de conserver la foi. Ce qui, je l’espère, n’enlève pas la dimension sociale et engagée du film qui tend à rendre visible l’invisible par un regard onirique sur la marge.

 

Qu’est-ce qui t’a influencée ?

En fait, jusque là je dessinais un cinéma plutôt burlesque, non parlé et plutôt plan-tableau, parce que c’est une grande partie de mes influences Charlie Chaplin, Jacques TatiRoy AnderssonGustave Kervern et Benoît Delépine. Et puis bien que ça ne se sente pas nécessairement dans mes films, les premiers Tim Burton ont aussi eu une forte influence sur moi : pour la poésie de la marge, les minables flamboyants mais toujours avec une forme distanciée.

Plus il y a de distance et plus tu te cognes au réel, plus les écrans de fumée tombent.

Pour En fin de conte, ça a été très difficile, j’ai plus cherché les influences qu’elles ne sont imposées naturellement. La forme du faux documentaire servait mon sujet sur la croyance ; faire un film de genre fantastique avec des codes très réalistes, je trouvais ça très intéressant parce que ça questionnait la croyance du spectateur. Mais j’ai beaucoup cherché des références, parce que des mockumentary, surtout francophone, il n’en y a pas tant ça : C’est arrivé près de chez vous évidemment; Guy d’Alexis Lutz et What we do in the shadows sont des films qui m’ont influencée sur la possibilité du dispositif. Je pourrais aussi évoquer Gaspar Noé, pour la radicalité du geste. 

Qu’est-ce qui t’intéresse dans la forme du court-métrage ?

Je pense que tout le monde le dit, le court c’est un moyen d’exploration plus évident que le long métrage. Il y a moins d’enjeu.  Avec le format court, on travaille autour de la contrainte et de la frustration ; la frustration devient un moteur. Ce qu’il y a d’intéressant dans le court métrage aussi, c’est la radicalité qu’il permet ;  parce qu’à l’inverse certaines histoires, certaines dispositifs ne tiendraient pas sur la longueur.Tu peux vraiment pousser à l’extrême, une grammaire, une caractérisation de personnages, etc.

 

Est-ce que tu regardes des courts-métrages ?

Je regarde des courts métrages, oui bien sûr. Mais je les vois davantage avec un regard technique. J’en regarde en festival, bien sûr mais aussi sur Canal, sur Arte. Récemment, je me suis abonnée à BrutX et je suis sciée : cette plateforme est exceptionnelle. La qualité de la proposition éditoriale est là. Je dois dire que c’est assez rare que j’aille sur des plateformes pour voir des courts métrages « à l’aveugle », en général, c’est plus parce qu’on m’aura parlé d’un film en particulier.

Ton regard sur les productions françaises ?

Cette question est délicate parce que ça fait plus de dix ans que je vis en Belgique donc je me cogne forcément plus à la production belge qu’à la production française. J’ai l’impression qu’en France il y a beaucoup plus de guichets de financement qu’en Belgique mais en même temps la production est plus homogène. En Belgique, il y a un rapport différent à la prise de risque. Il me semble qu’il y a plus d’audace et de liberté. Dans le court métrage, il y a une forme de prédilection pour le drame social, j’ai l’impression. La plupart des chocs cinématographiques que je vis c’est plutôt dans des milieux underground.

Quel est ton dernier coup de ♥  en terme de court-métrage ?

Si je peux t’en donner deux, je parlerais de  Novembre de Camille De Leu parce qu’il traite d’un sujet vraiment pas facile : le sentiment d’apathie, la difficulté d’être au monde que la réalisatrice sublime. Je parlais plus tôt de la radicalité du court métrage, c’en est un exemple ; c’est un film très universel et très sensitif, qui m’a bouleversée. Je dirais aussi Birdland de Ashgan El-Hamus qui a remporté le Grand Prix de la ville de Brest au dernier Festival Européen du Film Court de Brest,  sans doute parce que c’est sur un sujet sur lequel je travaille actuellement j’ai été influencée. Pour moi, c’est un film sur la construction sociale et culturelle du genre à hauteur d’enfant, et je l’ai trouvé exceptionnel. 

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Catégories : Kontrechamp

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